Chroniques

par françois-xavier ajavon

Benjamin Britten
Folk song arrangements (vol.1)

2 CD Naxos (2005)
8.557220-21
Benjamin Britten | Folk song arrangements (vol.1)

Au programme : The Salley Gardens – Greensleeves – The Plough Boy – Pray Goody – The Brisk Young Widow – The Holly and the Ivy – Avenging and bright – La Noel passe – I will give my love an apple – Bonny at Morn – The Shooting of his Dear – The Stream in the Valley – Unidentified folk song setting

Naxos poursuit la réédition des archives Collins Classics. Ces enregistrements de la quasi-intégralité des arrangements de folk songs de Benjamin Britten, sous la baguette de Steuart Bedford ne constituent pas une nouveauté : ils avaient été précédemment édités en 1995 – notamment sous la forme d'un inoubliable coffret de trois CD. Nous avons dit ailleurs à quel point cette intégrale numérique était justifiée [Serenade for tenor, horn and strings – lire notre critique du CD]. Une de ses vertus est de proposer des world première recordings d'opus rares, exhumés après la mort du compositeur britannique, en 1976, ce qui évidemment n'a pas de prix pour les amateurs. Britten n'a d'ailleurs jamais enregistré l'intégralité de ses Folk song arrangements pour Decca : il n'a concédé que quelques disques, dont des 45 tours quatre titres aujourd'hui quasiment introuvables, reprenant les grands tubes du folklore britannique, dont O Waly, Waly, Sweet Poly Oliver, The foggy, foggy dew. Ces enregistrement du début des années soixante sont émouvant : Britten est au piano, Peter Pears couche son inoubliable voix de ténor sur ces mélodies archi-connues dans une atmosphère de stéréophonie rudimentaire très sympathique. Cependant Steuart Bedford a renvoyé ces enregistrements à l'âge de pierre, avec la quasi-intégrale qu'il a gravée dans les années quatre-vingt dix et qui ressort aujourd'hui sous la forme d'un double CD et d’un simple [lire notre critique du CD], soit plus de trois heures de musique, avec quelques ajouts inédits de 2001.

Britten, comme de nombreux compositeurs britanniques de sa génération (dont Percy Grainger), s'est intéressé au patrimoine musical populaire de son pays. Les folk songs ne sont pas des mélodies de sa création, mais un travail de réécriture et de mise en forme classique de la culture populaire, qui normalise et structure ces chansons historiques en cycles cohérents. C'est en 1943, alors en exil aux États-Unis durant la seconde guerre mondiale, et pendant la maturation du grand opéra Peter Grimes, que Britten écrivit ses premiers arrangements. Tout au long de sa carrière, ces songs nationales furent autant d’exercices de style destinés à entraîner sa verve musicale qu'un très précieux réservoir de joyaux miniatures pour la construction des programmes de ses innombrables concerts où, du piano, il accompagnait Peter Pears à travers le monde.

L'anthologie réalisée par Steuart Bedford comprend déjà les six volumes officiels réalisés et publiés par Britten : vol.1 : British Isles (1943), vol.2 : France (1946), vol.3 : British Isles (1947), vol.4 : Moore's Irish Melodies (1960), vol.5 : British Isles (1961), vol.6 : England (1961). Chacun de ces recueils thématiques regroupe entre une demi-douzaine et une dizaine de chansons sélectionnées et arrangées par les bons soins du musicien. Certaines d'entre elles sont incontournables : on reste confondu par la délicatesse de The Salley Gardens, par l'énergie et l'irrévérence d’Olivier Cromwell, par la gravité de The Bonny Earl O'Moray (vol.1). La courte chanson écossaise There's none to sooth est d'un intensité subtile inoubliable. O Waly, Waly (vol.3) est l'hymne officieux de toute l'Écosse, et Britten en fait une balade harmonieuse qui tire littéralement les larmes. Sally in our Alley (vol.5) lui offre l'occasion d'écrire une partie pour piano aux inflexions reconnaissables entre mille, dont l'introduction et l'esprit général ne sont pas sans rappeler le piano obsédant de son opéra The Turn of the Screw.

Mais Britten s'accommode aussi de l'air irlandais, et propose une lecture paradoxalement aérienne de la chanson marine Sail on, sail on, ainsi qu'une enivrante version deThe last rose of summer (vol.4). Le compositeur a toujours aimé écrire des songs dans des langues étrangères : il s'est attaqué notamment à la langue russe (The Poet's Echos Op.76), à l'allemand (Sechs Hölderlin-Fragmente Op.61), mais aussi à notre langue dès les Quatre chansons françaises de 1928. Dans le second volume, il s'offre un tour de France musical remarquable de subtilité et d'originalité. Il va chercher dans le patrimoine de France des chansons oubliées, empruntées au répertoire galant des bergers de l'Ancien régime (Le roi s'en va t'en chasse) ou aux traditions de noël provinciales (Le noël passé). On en retiendra surtout la très sombre Il est quelqu'un sur terre, chant désespéré d'une fileuse imaginaire ponctuant chacun des refrains de sa complainte amoureuse par Va mon rouet ! Pour le sixième volume, Britten revient en Angleterre et accompagne la voix non plus par un piano mais par une guitare.

Le grand intérêt de cette réédition est de proposer un enregistrement de la collection Tom Bowling and other songs arrangements, publiée en 2001, regroupant des folk songs interprétées par Britten au concert mais jamais regroupées au sein des Volumes officiels. On y retrouve de vrais bijoux, tels Greensleeves ou I Wonder as I wander, qui sont longtemps restés cachés dans des tiroirs pour cause d'obscurs conflits de droits d'auteur avec ceux qui ont initialement recueilli ces rengaines populaires. Britten ne les a pas seulement écrit et arrangé pour Peter Pears, son ténor fétiche, mais aussi pour le harpiste Osian Ellis, pour qui il écrirait aussi son cinquième Canticle, The Death of Noarcissus. En 1995, Bedford convoqua Ellis et enregistra avec le ténor Philip Langridge les tardives Eight folk songs Arrangements for high voice and harp, datée de 1976. On trouve dans ces chansons une gravité troublante, étrangement soulignée par les timbres aériens de la harpe. Œuvre de maturité, de maîtrise, parfois âpre mais tout le temps généreuse : on en retiendra notamment la ravissante Lemady et les accents gallois de l'intrigante Bugeilo'r Gwenith Gwyn. Le programme est complété par quelques compositions éparses, dont une version de The Holly and the Ivy (1957) pour chœur et solistes, ainsi qu'un très précieux volume d’Orchestral Arrangements où Britten revient lui-même, à travers des orchestrations très sobres à base de cordes et d'instruments à vents, sur une sélection de ses folk songs et leur donne un décor symphonique à destination de la scène.

Il y a fort à parier que cette série d'enregistrements rendue à nouveau disponible fera référence de très nombreuses années durant. Bedford, disciple de Britten, respecte la lettre et l'esprit de son maître. Osian Ellis est impeccable et plein de souvenirs derrière sa harpe. Les chanteurs (Langridge et Felicity Lott), tous familiers de l'univers vocal du compositeur, évoluent avec aisance, en grands britténiens qu'ils sont, dans ces pièces inspirées. L'enregistrement digital est affecté d'un souffle relativement désagréable, lié aux conditions d'enregistrement – salles de concert et non studio. Le livret comporte le texte de toutes les chansons et des notices d'introduction très utiles à une écoute suivie.

FXA